ALICIA DUJOVNE-ORTIZ
Dora Maar
Prisonnière du regard
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Alex et Nelly Lhermillier
"Max Jacob m'a un jour demandé pourquoi j'étais si aimable avec les personnes qui m'importaient peu, et si dur avec mes proches. Je lui ai répondu que ma bonté était une forme d'indifférence ; en ce qui concerne mes amis, je les voulais parfaits, aussi je leur faisais toujours des critiques et voulais les mettre à l'épreuve de temps en temps, pour m'assurer que nos liens étaient aussi solides qu'ils devaient l'être."
"L'argent pour la robe, c'est Marcel Fleiss qui le donna. Elle fut enterrée au cimetière de Clamart.
Il y avait cinq ou six personnes, celles du musée, la voisine, la concierge. Comme beaucoup la croyaient déjà disparue, la presse française n'annonça sa mort que dix jours plus tard.
D'autres, au contraire, étaient très pressés. La nuit de l'enterrement, les voisins virent de la lumière dans l'appartement du deuxième étage, qui ne s'éteignit qu'à l'aube."
"J'ai pensé que dans son existence elle avait connu deux moments heureux : avant Picasso, lorsqu'elle parcourait les faubourgs de Londres et de Barcelone, son appareil photo en arrêt, et après, surtout après : concrètement, entre 1958 - lorsqu'elle prit la décision de se séparer de ces « gens horribles » - et 1973, l'année de la mort de Joseph Markovitch et de Pablo Picasso, où moururent aussi ses trois moines blancs, où elle cessa aussi de rencontrer André Du Bouchet, lorsque seules les églises virent à l'aube la courbe de son dos. Entre cinquante et un et soixante-six ans, Dora avait « travaillé avec toute son énergie » à se détacher de Picasso, et elle y était parvenue. A partir de ces morts, nombre de ses efforts perdaient tout leur sens, et elle commença à reculer. "